En tant que féministes des milieux universitaire et communautaire, nous tenons à vous féliciter chaleureusement pour votre élection à la mairie de Montréal. Même si les questions de logement n’ont pas reçu suffisamment d’attention dans les débats au cours de la campagne électorale, nous constatons que la construction de logements apparaît parmi les cinq priorités de la plate-forme de Projet Montréal. Il est donc légitime d’espérer que de nouvelles initiatives en matière d’habitation voient le jour au cours de votre premier mandat, considérant les nouveaux pouvoirs conférés par le statut de métropole. De plus, du fait de votre engagement féministe, nous nous attendons à ce que ces initiatives prennent en considération les réalités vécues par les Montréalaises dans toute leur diversité.
Comme on le sait, la division sexuée du travail est toujours présente dans notre société. Les femmes consacrent plus de temps au travail domestique ainsi qu’aux soins de la famille et des proches. Elles travaillent dans des secteurs moins bien payés que ceux traditionnellement masculins. Pour ces raisons, il existe un écart entre leurs revenus et ceux des hommes. Ces inégalités affectent directement les conditions d’habitation des femmes et de leurs enfants. Leur plus faible capacité de payer le loyer explique le fait qu’un grand nombre d’entre elles (en particulier les femmes seules, cheffes de famille, immigrantes, racisées, autochtones, aînées, en situation de handicap ou celles de la diversité sexuelle et de genre) ont de la difficulté à trouver un logement qui convienne à leurs besoins. Elles se retrouvent alors dans des logements exigus, insécuritaires, parfois éloignés des services dont elles ont besoin, et souvent insalubres, ce qui affecte leur santé physique et mentale.
Alors que le logement devrait être un lieu qui assure la sécurité physique et psychologique, ses murs sont souvent témoins silencieux de diverses formes de violence, d’intimidation et de harcèlement sexuel. Une enquête menée par le Centre d’éducation et d’action des femmes dresse un portrait des conditions vécues par de nombreuses femmes locataires. Le logement constitue pour elles un lieu de proximité, voire de promiscuité non souhaitée avec leur agresseur qui est souvent un propriétaire, un concierge ou encore un cochambreur. Pire encore, il devient l’objet de marchandage sexuel non désiré, qui peut conduire des femmes à l’itinérance et ce, dans les logements privés et sociaux. Nous constatons que ces violences, directement liées au genre et au statut socio-économique, demeurent invisibles et taboues.
Le logement social offre des appartements décents et accessibles à des milliers de femmes. Si Montréal n’investit pas plus sérieusement dans la construction de logements sociaux et n’intervient pas pour maintenir ceux existants, une partie du parc de logements sociaux risque à moyen terme la privatisation.
Bien que le logement constitue un droit économique et social reconnu par de nombreux traités internationaux, la reconnaissance juridique d’un droit au logement reste floue et pratiquement inexistante au Canada et au Québec. En raison de ces inégalités basées sur le genre, on ne peut parler du droit au logement des Montréalaises. Actuellement, le mouvement communautaire, dont nous faisons partie, déploie des efforts afin de mieux cerner les besoins des femmes en matière d’habitation. Cependant, dans le contexte actuel où il y a un manque criant de logements sociaux et publics adaptés aux réalités des Montréalaises et répondants aux normes d’accessibilité universelle, nous ne disposons pas de ressources et de pouvoirs suffisants pour répondre à leurs besoins.
Madame la mairesse, nous profitons des premiers jours de votre arrivée au pouvoir pour faire valoir que la construction de logements sociaux constitue une mesure structurante pour lutter contre la pauvreté ainsi que les inégalités socioéconomiques et de genre. Ainsi, nous réclamons un investissement majeur en matière de logement social en considérant les besoins spécifiques des femmes en matière d’habitation. De plus, nous ajoutons notre voix à celles des regroupements pour le droit au logement afin de réclamer la création d’une réserve foncière qui permettrait de mieux planifier l’aménagement des quartiers de notre ville. Enfin, nous demandons à ce que la question des violences vécues par des femmes locataires, résidentes de coopératives d’habitation et chambreuses soit prise en considération dans les futures politiques publiques afin de prévenir et lutter contre ces agressions.
Cet appel est signé par la Table des groupes de femmes de Montréal ainsi que par des militantes, des chercheuses, des groupes et des regroupements féministes pour le droit au logement!
Liste complète des signataires :
Table des groupes de femmes de Montréal
Table régionale des centres de femmes Montréal métropolitain Laval
Centre d’éducation et d’action des femmes
Réseau québécois des OSBL d’habitation
Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain
Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec
Anne Latendresse, professeure de géographie, UQAM
Marie-Neige Lapperière, professseure de droit, UQO
Marie-Eve Desroches, doctorante en études urbaines, INRS